Gare de Troyes, le 27 juin 2005.
Huit heures du matin, rapidement nous déposons nos maigres bagages à l’hôtel, nous avions rendez-vous avec Rabbénou Tam et Rachi. Le colloque scientifique consacré à Rachi de Troyes à l’occasion du 900ième anniversaire de sa mort commençait.
La ville de Troyes a la particularité d’avoir favorisé et contribué à faire entrer Rachi dans la culture champenoise, par la création de l’Institut Universitaire Rachi qui dépend de l’Université de Reims et qui dispense des cours de pensée juive, d’hébreu et de culture à quelque 150 étudiants. L’Institut est dirigé actuellement par Claude Sultan, et le Grand Rabbin René-Samuel Sirat contribua à sa création et à son développement. Il se situe 2, rue Bruneval face au centre communautaire qui inclut la Synagogue créée par son rabbin Elie Semoun, il y a 54 ans, dans une ancienne Abbaye.
Les participants au colloque s’étaient partagés en deux groupes, l’un avait choisi la visite de l’Abbaye de Clairvaux, l’autre la visite de Ramerupt et Dampierre. Première étape avant une avalanche de conférences des plus pointues sur le Moyen Age et Rachi.
- Hommage à Rabbénu Tam
- Devant la tombe reconstituée à Ramerupt (France).
Par une chaleur torride, nous avons rejoint l’autoroute vers Paris, puis la nationale puis la départementale, et avons traversé la campagne champenoise toute dorée, caressée par le vent sur 30 km. Qui l’eut cru ? Ramerupt apparut comme un village ordinaire, et nous descendîmes de notre véhicule près de l’église, rue du Grand Cimetière. Nous avons frappé à une première porte afin que la propriétaire nous ouvrît une autre porte... Nous scrutions la moindre poutre ancienne d’une masure envahie de poussière à travers une lucarne, au hasard du regard, mais la propriétaire nous conduisit vers une petite maison basse aménagée en lieu de recueillement par une association de hassidim ; un lieu symbolique dans Ramerupt avec sa pierre tombale symbolique, et un cerisier en fleur dans le jardin, et des veilleuses au pied de l’arbre de l’enseignement.
A l’intérieur de la maison équipée pour la prière, un arbre généalogique de l’enseignement tossafiste occupe un large mur ; les grands maîtres et leurs élèves, et les élèves des élèves se succèdent et s’élèvent vers le haut. Cet arbre témoigne du rayonnement de l’école française de l’étude et du commentaire talmudique.
Parmi les maîtres mentionnés, on trouve Benjamin de Canterburry, Isaac le Blund, Isaac Bar Samuel l’ancien de Dampierre, Moïse de Kiev, et aussi Yom Tov de Joigny qui avait encouragé les Juifs de York à choisir le suicide plutôt que la conversion. C’est Gérard Nahon [1] qui nous fit un exposé pour présenter le plus illustre des tossafistes, fils de Rabbi Meïr ben Samuel et de Jochebed fille de Rachi, soit Jacob ben Meïr dit Rabbénou Tam (1100-1171) par qui l’Ecole Française connut un tel retentissement qu’elle imprima à jamais à l’étude talmudique une méthode de lecture qui rendit le texte simple et transparent. c’est Rabbenou Tam qui à travers ce qu’on appelle l’Ecole Française intronisa Rachi comme le maître à penser précisément de cette Ecole des Tossafistes.
Rabbenou Tam étudia auprès de son père, de son frère Samuel ben Meïr (Rachbam), et Jacob ben Samson élève de Rachi.
On notera que Joseph Qara fut l’élève de Rachi et celui de Rabbénou Tam. Le professeur Perani de l’Université de Bologne vient de retrouver un manuscrit de Joseph Qara dans la "Guéniza Italienne". Il arriva à Rabbénou Tam d’être en désaccord avec son grand-père Rachi, notamment concernant la position de la Mezzouzah sur les montants de porte, ainsi Rachi soutenait qu’elle devait être positionnée à la verticale, et Rabbénou Tam à l’horizontale ; ce qui valut à la tradition d’adopter la position inclinée afin de se conformer à l’enseignement des deux maîtres.
Bien établi à Ramerupt, Rabbenou Tam possédait maisons et terres qu’il administrait en même temps qu’il menait l’étude de son école ou Yeshivah qui fut fréquentée par plus de quatre vingt tossafistes. Comme il était d’usage, il subvenait aux besoins de ses étudiants. Il possédait de nombreux manuscrits qui provenaient outre d’Allemagne et du Nord de la France, d’Afrique du Nord et d’Espagne, il les corrigeait et les annotait, il possédait également des manuscrits de Rachi.
Un participant au colloque fit remarquer que certains textes évoquaient le nom de lieu de "Romerupt" et non "Ramerupt", pouvait-il y avoir erreur de lieu ? Gérard Nahon donna la réponse suivante : Au XII° siècle, l’autorité suprême du Judaïsme à laquelle étaient adressées les Questions des Communautés, se situait à Rome. Par un effet de basculement, l’Ecole de Rabbenou Tam avait acquis un tel prestige que l’autorité passa à Ramerupt, d’où un jeu de mot usité de désigner ce village du nom de "Romerupt".
A la question de la provenance de la Communauté juive de Ramerupt et de Dampierre, Gérard Nahon nous précisa qu’en l’absence de nom de lieu accolé aux patronymes (comme par exemple Yom Tov de Joigny), les chercheurs en déduisaient que ces Juifs de Ramerupt étaient du crû champenois, qu’ils étaient d’ici même, et qu’on pouvait en dire de même pour Dampierre toute proche, ou Troyes.
- Pierre tombale à la mémoire de Rabbénu Tam
- A Ramerupt
Un grave incident marqua la vie de Rabbénou Tam ; il fut violemment molesté dans son village par des croisés de retour vers 1140-1146. Un de ses élèves en fait le récit et rapporte que le nom du Maître était si prestigieux que les agresseurs lui dirent : "Tu es le plus grand parmi le peuple d’Israël et tu vas subir comme le plus grand des Chrétiens subit en son temps par la faute des Juifs." Il n’eut la vie sauve que par l’intervention d’un noble qui jura de le convertir.
Notre visite fut filmée par FR3 Champagne, à qui nous fîmes remarquer que d’un si petit village où à peine quelques familles juives vivaient, un si grand rayonnement éclaira le monde juif et chrétien de Commentaires de la Torah et du Talmud, en s’appuyant sur la langue d’Oïl qui contribua à la clarté des textes. Que du français populaire utilisé dans les marchés et foires, dans les fermes, se construisit un vrai concept de clarification du sens des mots et de l’esprit du Talmud, par l’utilisation des ’Laazim introduits par Rachi. [2]
Rabbénou Tam fut l’auteur du " Sefer ha-Yachar " [3]", le Livre du Juste, et de poèmes liturgiques "piyoutim". [4] Avec les commentaires du Talmud, Rabbénou Tam a fait ce qu’on peut appeler "le Talmud de France", selon Gérard Nahon.
Un voyage qui ne faisait que commencer, et qui témoignait s’il en était nécessaire une fois de plus, de l’ancrage ancestral des populations Juives dans le terroir français et européen.
Après Ramerupt, nous sommes passés à Dampierre afin de nous imprégner de l’atmosphère d’une campagne dont la terre avait aussi englouti les moindres traces des Rabbis, de leurs élèves et de leurs familles.
A moins qu’un jour, au hasard de travaux publics on ne découvrît un Miqwé, une pierre, un manuscrit ?
L’unique sanctuaire étant le peuple Juif lui même.
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